Pendant des siècles, le partage de l’information, de la connaissance a été le meilleur outil pour lutter contre l’ignorance, l’obscurantisme, en un mot, la peur. Pourquoi ? parce que pendant longtemps, le savoir permettait d’expliquer, d’apporter des réponses et donc de rassurer.
Aujourd’hui, le savoir est de plus en plus diffusé, de plus en plus vite, sans filtre ni formation et il devient, comme la réalité qu’il explique, de plus en plus complexe. Il n’y a plus un « discours explicatif universel » (Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens et professeur universitaire en sciences de gestion).
Or, réduire les problèmes et les difficultés à une équation simple, facile est très tentant car intellectuellement moins fatigant et, partant, moins stressant. Les bons et les méchants, le noir et le blanc. Voilà qui est autrement plus facile à appréhender et permet un positionnement immédiat, clair. D’où la réduction du problème de la délinquance à l’urbanisme des cités. Il suffit de décider qu’à partir de maintenant, on ne construira plus les villes qu’à la campagne ! Tellement plus soulageant que d’admettre que jouent des facteurs économiques, culturels, religieux, sexuels, sociologiques, politiques qui sont tous en interaction, c’est-à-dire que toucher à l’un fait bouger tous les autres, avec des conséquences souvent très néfastes qu’il faut à leur tour gérer.
« L’Homme préfère l’illusion qui rend heureux à la réalité qui désespère » (Pascal). Une explication facile à comprendre est plus recherchée, quitte à ce qu’elle soit fausse, qu’une vérité complexe et inquiétante. Ainsi, la liberté est une notion terrifiante car elle abolit tous les gardes-fou. Alors, il est beaucoup plus confortable de se dire que l’on est manipulé par des Maîtres du Monde que d’admettre que c’est le chaos, l’imprévisible qui préside à notre destinée. Il est plus rassurant de se dire que la COVID-19 est une manipulation humaine délibérée pour nous implanter la 5G par le biais d’une piqûre que d’admettre que toute l’espèce humaine est mise en péril par un virus qui s’est développé dans une chauve-souris copine d’un pangolin…
A cela vient se rajouter le phénomène actuel de la méfiance à l’endroit des dirigeants politiques et économiques dont le discours, de plus en plus complexe, n’est plus audible pour les non-initiés. Or, tout ce qui est incompréhensible suscite par nature la défiance : cela cache quelque chose et c’est nécessairement une intention mauvaise… Du coup, toute critique à leur encontre est bien reçue et même validée, simplement parce qu’elle les remet en cause. « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose !» (Beaumarchais). On affirme sans fondement et si, en face, les élites tentent d’expliquer, on les accuse, toujours sans preuve, de chercher à se défendre car elles ont quelques choses à cacher…
Pourtant, il suffit de regarder fonctionner les grands organismes de pouvoir (multinationales, institutions internationales, gouvernements et administrations publiques) pour constater qu’il n’est nul besoin d’un esprit maléfique pour provoquer les catastrophes et dysfonctionnements. Les intérêts individuels, les hasards, les dérives, les contradictions entre les besoins, les incompréhensions et les malentendus, en se conjuguant, y suffisent largement.
Alors, pour ne pas sombrer dans la caricature qui engendre l’excès qui accouche du n’importe quoi, voir du vrai danger (le lapin, terrifié par la lumière des phares, reste immobile au lieu de fuir la voiture qui arrive vers lui), un seul recours, mais redoutablement efficace : notre intelligence!
Réapprenons à réfléchir, à analyser, à prendre le temps d’examiner, de comprendre avant de décider et d’agir. Il faut sortir de la critique de l’esprit pour retrouver l’esprit critique.